Schéma pluriannuel de mise en accessibilité - non-respect d’une obligation légale majeure (1)

L'essentiel

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  • La version de l’article 47 de la loi 11 février 2005 en vigueur depuis le 7 septembre 2018 impose aux organismes publics et aux grandes entreprises privées d’élaborer un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs services de communication au public en ligne décliné en plans d’actions annuels. L’obligation prenait effet au 23 septembre 2020 pour le secteur public et au 1er octobre 2020 pour le secteur privé. Compte tenu de l’état de déshérence dans lequel se trouvait l’accessibilité avec le non-respect du décret de 2009 par le secteur public, cette démarche de planification pluriannuelle était un excellent choix. Malheureusement, deux ans après la date d’entrée en vigueur de l’obligation, le constat est affligeant. Pour l’essentiel, les organisations concernées se classent en deux grandes catégories : d’une part celles qui n’ont rien fait, d’autre part celles qui ont fait mal ou ont fait trop peu. Dans ce premier article, nous rappellerons les textes applicables et nous livrerons les premiers enseignements d’une étude menée sur 59 organismes publics et privés. Dans le deuxième article nous traiterons des très nombreux organismes qui n’ont strictement rien fait. Le troisième article traitera de ceux qui ont fait mal ou trop peu et avancera des propositions d’action.

Rappel commenté des textes de référence

Article 47 de la loi du 11 février 2005

L’article indique notamment :

« Les organismes […] élaborent un schéma pluriannuel de mise en accessibilité de leurs services de communication au public en ligne, qui est rendu public et décliné en plans d'actions annuels, et dont la durée ne peut être supérieure à trois ans.
[…] les délais de mise en conformité des services de communication au public en ligne […] ne peuvent excéder trois ans. »

Décret n° 2019-768 du 24 juillet 2019

L’article 6 indique que « la déclaration d’accessibilité comporte notamment […] le lien vers le schéma pluriannuel de mise en accessibilité ».

L’article 8 indique que les sanctions administratives, portant notamment sur la publication du schéma pluriannuel de mise en accessibilité, sont d’un montant de 20 000 € (par service non conforme) et qu’elles sont prononcées par le ministère chargé des personnes handicapées.

RGAA (Référentiel général d'amélioration de l'accessibilité)

À propos du contenu du schéma, le RGAA prévoit :

« En application du III de l’article 47 précité, le schéma pluriannuel, d’une durée maximum de trois ans, présente la politique de l’entité concernée en matière d’accessibilité numérique. À ce titre, il contient des informations sur :

  • la prise en compte de l’accessibilité numérique dans la stratégie numérique de l’entité et dans sa politique en faveur de l’intégration des personnes en situation de handicap ;
  • la position fonctionnelle et les missions du référent accessibilité numérique de l’entité ;
  • les ressources humaines et financières affectées à l’accessibilité numérique ;
  • la prise en compte des compétences ou connaissances requises dans les fiches de poste et dans les processus de recrutement ;
  • les actions de formation et de sensibilisation des agents ;
  • la mise en œuvre des ressources et expertises externes auxquelles il est, le cas échéant, fait appel, des moyens techniques et de l’outillage pour gérer et tester l’accessibilité numérique ;
  • l’organisation interne pour mettre en œuvre les obligations d’accessibilité des services de communication au public en ligne, y compris les modalités de contrôle des services numériques et d’organisation pour le traitement des demandes des usagers ;
  • l’intégration de l’accessibilité numérique dans les clauses contractuelles (appels d’offres et devis), des critères de notation et de sélection des prestataires et les procédures de recette et, le cas échéant, dans les conventions établies avec leurs opérateurs, délégataires ou partenaires.

Il présente également les travaux de mise en conformité des services de communication au public en ligne de l’entité, notamment :

  • la prise en compte de l’accessibilité numérique dans les nouveaux projets ;
  • la prise en compte des personnes en situation de handicap dans les tests utilisateurs ;
  • les évaluations (ou audits) de conformité prévus pour l’ensemble des services de communication ;
  • les mesures correctives qui seront prises pour traiter les contenus non accessibles, y compris un calendrier de mise en œuvre de ces mesures, tenant compte du caractère prioritaire des contenus les plus consultés et des services les plus utilisés ;
  • les mesures d’accessibilité non obligatoires, notamment l’accès aux contenus audios et vidéos en langue des signes, la traduction de certains contenus en langage simplifié et tout autre mesure permettant de prendre en compte des critères de niveau triple AAA, des normes internationales, listés en annexe de la norme de référence ;
  • le bilan des plans d’actions annuels.

Ces travaux de mise en conformité et les actions en faveur de l’accessibilité numérique sont planifiés annuellement dans des plans d’actions. »

Concernant la publication du schéma, le RGAA indique :

« Le schéma pluriannuel et le plan d’action de l’année en cours sont accessibles en ligne sur le site de l’entité. Des liens vers ces documents figurent au sein de la déclaration d’accessibilité des services de communication au public en ligne dépendant de l’entité. Ils sont publiés dans un format accessible »

Commentaires

Lors de la publication du décret du 24 juillet 2019 pris en application de la modification de la loi de 2005 intervenue en septembre 2018, la situation est très mauvaise en termes d’accessibilité :

  • les organismes publics avaient une obligation d’accessibilité depuis 2011, mais ils n’avaient pratiquement rien fait ;
  • pour les entreprises privées l’obligation légale est intervenue en septembre 2018 et, compte tenu du mauvais exemple donné par les organismes publics, ces entreprises n’avaient guère eu matière à agir spontanément.

La mise en accessibilité des services de communication au public en ligne de ces organisations (essentiellement, mais pas exclusivement, les sites Internet) représentait donc un travail important.
Compte tenu des dispositions combinées de la loi (« les délais de mise en conformité des services de communication au public en ligne, qui ne peuvent excéder trois ans » et de l’article 10 du décret de 2019, la date limite pour la mise en conformité totale des sites Internet est le 1er octobre 2023 (1er juillet 2024 pour les applications mobiles, les progiciels et le mobilier urbain numérique).
La mise en accessibilité représente donc un projet d’envergure et il est donc normal que le législateur ait prévu une démarche de rigoureuse planification pluriannuelle pour mener à bien ce projet. Il s’agit d’appliquer à l’accessibilité numérique une démarche de planification similaire à celle utilisée dans d’autres domaines (construction, systèmes d’information…).

Si l’on reprend les termes du RGAA, on est en droit d’attendre qu’un schéma pluriannuel de mise en accessibilité réponde, de manière précise, aux classiques questions :

  • Quoi ? (recensement exhaustif des services de communication au public en ligne concernés par la mise en accessibilité)
  • Qui ? (personnels concernés par la mise en accessibilité, internes et prestataires)
  • Combien ?
    • ressources financières
    • ressources humaines
  • Quand ? (planification précise des diverses opérations de mise en accessibilité)
  • Comment ? (méthodes utilisées pour la mise en accessibilité)

S’agissant des données chiffrées, étant donné que la prise en compte de l’accessibilité doit être une partie intégrante de l’activité des développeurs, il n’est évidemment pas question d’indiquer quelle fraction précise de leur temps est consacrée à l’accessibilité. En revanche, il est tout à fait possible de connaître, par exemple, le nombre d’ETP (équivalents temps plein) consacrés à la fonction « référent accessibilité » ou à d’autres fonctions exclusivement centrées sur l’accessibilité.

Il est également nécessaire de quantifier le nombre de journées de formation ou sensibilisation consacrées à l’accessibilité dans une année, ainsi que les effectifs concernés.

Quiconque a eu à gérer une planification pluriannuelle sait qu’un planning initial (parfois établi à partir de données insuffisamment précises) n’est que très rarement respecté à la lettre. C’est pourquoi les plans annuels doivent comporter un bilan des actions de l’année précédente et une adaptation de la planification pour la ou les années à venir.

En application des textes, tous les organismes auraient dû publier un schéma pluriannuel de mise en accessibilité au plus tard le 23 septembre 2020.

Principaux enseignements tirés d’une étude menée sur 59 organismes

L’association Valentin Haüy (AVH) a mené une étude sur 59 organismes (46 publics, 13 privés) dont le détail est fourni dans un tableau Excel (44 Ko).

Sur ces 59 organismes publics et privés, au 23 septembre 2022, soit deux ans après la date limite du 23 septembre 2020 :

  • 13 ont un schéma pluriannuel (22,0 %)
  • 46 n’en ont pas (78,0 %)

Sur les 13 organismes ayant un schéma :

  • 5 ont publié les plans annuels prévus
  • 8 n’ont pas publié les plans annuels prévus.

Aucun schéma pluriannuel (en y incluant les plans annuels associés) ne comporte de données chiffrées sur :

  • les ressources humaines affectées à l’accessibilité numérique ;
  • les ressources financières affectées à l’accessibilité numérique ;
  • les actions de formation-sensibilisation et les prévisions-réalisations en la matière.

Aucun schéma pluriannuel (en y incluant les plans annuels associés) ne donne de planification de la mise en conformité des sites Internet dans le délai légal de trois ans maximum.

Nous sommes donc pleinement fondés à parler de fiasco à propos de l’obligation d’élaboration et de mise en œuvre de schémas pluriannuels de mise en accessibilité. Et ce fiasco est déplorable car la démarche schéma pluriannuel de mise en accessibilité ne relève pas, contrairement à ce que certains semblent considérer, d’une exigence administrative inutilement tatillonne, mais d’un réel besoin si l’on souhaite qu’un jour les services de communication au public en ligne soient véritablement accessibles.

Même si, çà et là, on peut relever des comportements positifs, on est forcé de constater qu’il existe deux grandes catégories parmi les organismes soumis à l’obligation légale de mise en œuvre d’un schéma pluriannuel de mise en accessibilité :

  • ceux qui n’ont rien fait ;
  • ceux qui ont mal fait ou ont fait trop peu.

Dans notre prochain article nous traiterons des très nombreux organismes qui n’ont strictement rien fait. 

Auteur : Christian VOLLE
Vous pouvez réagir à cet article en envoyant un courriel à accessibilitenumerique@avh.asso.fr
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